jeudi 6 décembre 2012

Mercredi 7 novembre 2012307/11/Nov/201222:19
ASPIRANT GENEVIÈVE MARCHANT (5)
Quelque temps après je fus affectée au « transport » . Le chef était un affreux petit homme qui, lorsque j'avais terminé de distribuer les bons d'essence m'envoyait faire les courses à Soho.J'en ai passé des heures là. En rentrant au Q.G. J'avais envie de saluer la sentinelle avec ma baguette de pain français. Je frissonne encore à la pensée que j'aurais pu rencontrer le général de Gaulle qui alors n'aurait plus eu aucun doute sur la manière de sauver la France !
Beaucoup de Français libres avaient quitté leur famille en France et pour éviter les représailles changeaient de nom. Je suis sûre que l'armée française battait l'armée anglaise au nombre de Smiths ou Browns dans ses rangs.Les plus maniérés choisissaient des noms de l'aristocratie française ce qui entraîna des complications et même des suites judiciaires après la guerre.
Des familles anglaises nous adoptaient comme « filleuls » . Une fois ,la confusion entre les grades des armées anglaise et française tourna au désastre. Une vénérable famille écossaise « adopta » par correspondance un brigadier français et l'invita chez elle en Ecosse.Vous imaginez la tête de ces gens et celle des notables locaux quand ils l'accueillirent à la descente du train .Au lieu d'un général de brigade ( « brigadier » en anglais) ils recevaient un peu plus qu'un caporal !
Gruner était une fille qui n'avait jamais peur et gardait le sourire même sous les bombes .Un jour elle m'annonça : « je voudrais faire de l'espionnage. Je me suis proposée pour être parachutée en France » . J'étais abasourdie .Je lui ai dit - « Tu te prends pour Mata Hari, tu es folle . » Quelques jours plus tard elle avait disparu et une rumeur disait qu'elle était en prison . J'ai resssenti une grande tristesse.Quand je la revis après la guerre elle me raconta ses aventures et surtout le jour où elle a été arrêtée à la sortie du métro à Paris car il y avait une incohérence sur sa carte de rationnement à cause d'une erreur de Londres. Arrêtée par la gendarmerie , elle sourit et avoua « Oui je l'ai volée»...et elle fut laissée libre.
Pour échapper aux bombes il devenait nécessaire de nous trouver un grand hébergement . Ce fut l'imposante résidence Moncorvo qui avait appartenu au duc d'Aumale.C'était une maison hantée ! Le fantôme disparaissait à travers les murs,des bruits sourds se faisaient entendre. Des officiers de garde effrayées prirent deux chiens avec elles et les pauvres animaux ne s'arrêtèrent pas de tourner. Parmi les volontaires la panique succéda à la peur au point qu'il fut décidé d'abandonner le lieu.Mais cela ne s'est fait qu'après mon départ en France.Moncorvo House n'existe plus aujourd'hui.Pour certain cela reste un mystère, pour d'autres une plaisanterie et pour moi une sinistre réalité.
Dimanche 4 novembre 2012704/11/Nov/201221:15
defile-g-marchant.jpgASPIRANT GENEVIÈVE MARCHANT (4) Nous marchions, nous faisions de l'exercice,nous apprenions à saluer les officiers, nous avions des cours etc...Puis vint le temps d'être affectées au front.
Un matin nous devions aller dire au revoir à madame X, officier d'état major très gradée.Elle nous reçut dans une immense pièce où en face de la cheminée se chauffaient deux superbes chiens. Elle nous adressa des mots aimables puis , se dégantant, elle nous serra la main . Nous étions saisies d'admiration et de respect et tellement impressionnées qu'à notre tour nous lui serrâmes la main avec nos gants de laine kaki. Elle a dû s'étonner de la politesse française.
A la gare de Waterloo nous avons rencontré une personne que nous ne connaissions pas.Une femme grande et corpulente. Soudain je reçus un grand coup de coude dans les côtes et Gruner murmura « -Salue la ! C'est un adjudant. Elle vient de me flinguer ». J'ai donc fait un salut magnifique et j'ai compris qu'elle avait apprécié. C'était une héroïne de la première guerre mondiale qui aboyait plus qu'elle ne mordait . L'avenir prouva que c'était une femme très agréable.
Notre premier casernement se trouvait à Hill Street dans un hôtel particulier appartenant à la famille Rothschild. Notre chambre devait être autrefois une « galerie des glaces » et entre chaque panneau de verre nous avions installé nos lits de manière rudimentaire. La « tigresse » nous montra des tas de paille et avec délicatesse nous informa que nous aurions à remplir nos paillasses le mieux possible si nous voulions bien dormir.
Sur nos uniformes le mot « FRANCE » fut apposé en lettres énormes, ce qui provoqua quelques incidents avec la population de Londres. Une volontaire nous raconta qu'elle avait rencontré un officier anglais qui lui demanda si elle portait réellement une culotte kaki et s'il pouvait jeter un oeil. Une autre ,dans un bus,se vit traiter de noms affreux. Pour certaines personnes nous avions conduit l'Angleterre au désastre. Heureusement un article du Picture Post nous présenta comme des « femmes courageuses » et retourna l'opinion en notre faveur.
Dès le premier jour je fus affectée au Quartier Général à Carlton Gardens.En rentrant au quartier pour y déjeuner j'ai été apostrophée par une bretonne au visage d' ange qui se précipita vers moi m'affublant de toutes sortes de noms dont « paillasse d'officier » parce que je n'avais pas pris mon tour de corvée à la cuisine. Je fus tellement choquée que je fondis en larmes devant un parterre d'officiers et je décidai d'abandonner immédiatement . Dès mon retour à Hill Street j'ai voulu rencontrer le lieutenant Mathieu pour lui faire part de ma décision irrévocable. Elle me rappela gentiment que j'avais signé pour servir jusqu'à la fin de la guerre plus trois mois à disposition de l'administration française et que rien sur terre ne pouvait changer cela. Après reflexion je décidai donc de reprendre le travail en cuisine comme beaucoup de mes camarades et de passer outre les sourires de mon ennemie du matin.
Quand un dimanche matin on m'appela d'urgence pour préparer le repas, j'y suis retournée. Idiote que j'étais ! Le chef et ses acolytes me mirent devant une montagne de légumes à nettoyer, à peler etc...tandis qu'ils dégustaient un café et souriaient en me dispensant leurs bons conseils. Ce fut une bonne leçon et j'ai compris alors la devise sacrée de l'armée . JAMAIS VOLONTAIRE.
Dimanche 4 novembre 2012704/11/Nov/201215:51
g-marchant-au-refectoire.jpg La peur affectait les gens de manière différente.Mon mari , alors auxiliaire dans le service incendie rentrait avec des anecdotes . Dans les bâtiments en ruines il était fréquent de découvrir une salle de bains encore debout ou simplement le W.C. avec quelqu'un accroché au trône où la panique l'avait conduit.
Le jour était plus supportable car on imaginait que la bombe que l'on entendait ne nous était pas destinée.
Un jour,en ouvrant le journal je découvris avec surprise une photo à laquelle je ne m'attendais certainement pas .C'était celle de la première volontaire de la France libre. Folle de joie,je me rendis immédiatement au centre de recrutement. Il n'a pas fallu longtemps pour être engagée et un repas me fut offert à la cantine.Beaucoup de gens en uniforme étaient là et certains ressemblaient à d'Artagnan avec leur grande cape bleue et leur béret. Très galants aussi. L'un d'eux alla même jusqu'à me demander « - Avez-vous déjà trompé votre mari ? -Non - Alors voudriez vous le faire cet aprè-midi avec moi ? Début agréable...
En janvier 1941 on m'affecta à une caserne.Nous étions 5 – 2 jeunes Bretonnes, une Belge et Gruner qui allait devenir une grande amie. Un de nos premiers officiers fut Simone Matthieu, championne de tennis à Wimbledon qui était plutôt inquiète devant ces jeunes filles qui ne savaient pas un mot d'anglais. Comme je parlais anglais elle me demanda d'avoir un soin maternel sur elles.
Notre entrainement commença assez mal. Une infirmière, pas du tout une créature de rêve, nous scruta la chevelure avec soin à la recherche de poux. Comme elle ne trouva rien, elle ordonna un autre shampoing à l'une d'entre nous. L'honneur britannique était sauf.
Un autre incident marqua notre séjour. Dix shillings ayant disparu, chacune fut consignée au régiment.
Chaque matin c'était la ruée vers les balais et le matériel de nettoyage. Il n'y en avait pas assez pour toutes les filles. Première arrivée, première servie. Notre chambre devait être nettoyée chaque jour mais incapable d'avoir une serpillière, j'ai eu l'idée de d'arroser le sol avec un seau d'eau. Il était mouillé même s'il n'était pas lavé et nous l'essuyions comme nous pouvions avec des chaussettes.
Les uniformes que nous avions eus nous faisaient ressembler à des épouvantails et offensait notre élégance gauloise.Il ne nous a pas fallu longtemps pour trouver un gentil tailleur acceptant de corriger les défauts.Il était absolument interdit de retoucher l'uniforme royal mais nous étions prêtes à tout plutôt que porter des vêtements aussi mal faits.
Vendredi 2 novembre 2012502/11/Nov/201211:17
Mon mari et moi nous habitions à Brixton, un faubourg de Londres qui allait être l'un des plus frappés.Les nuits étaient un véritable enfer.Les aboiements annonçaient les raids aériens - les chiens avaient un sens infaillible de l'anticipation - et alors les bombes tombaient. Tout le monde était terrifié à l'exception de quelques uns que je ne pourrais qualifier d'humains. L'un, le « père George », était notre voisin et la sentinelle des raids aériens.Dès que la sirène retentissait, il mettait son casque noir,jetait son masque à gaz sur l'épaule et partait dans la nuit aussi calmement qu'il serait allé à la pêche. Il patrouillait dans les rues sous les obus qui tombaient sur les toits.Je le croyais vraiment fou.
Plus tard j'ai compris le calme du peuple anglais plein de courage que rien ne pouvait ébranler.
Le vieux laitier était lui aussi un héros, assurant régulièrement sa tournée sous la pluie des. bombes ,conduisant son fidèle cheval aussi placide que lui. Rien ne pouvait leur arriver ,protégés qu'ils étaient des dieux du courage et de l'innocence.
Les souvenirs de Londres en feu sont inoubliables.Les docks d'abord avec leurs hangars pleins de bois et de papier pour l'imprimerie des journaux mais aussi les immenses dépôts de nourriture qui brûlaient frappés par des bombes incendiaires avec des flammes visibles à des kilomètres. Des myriades d'escarbilles ou de morceaux de papier flottaient et volaient dans l'air comme des insectes lumineux .
Nous étions plusieurs familles dans notre immeuble et dès que la sirène sonnait l'alerte nous nous précipitions dans un placard minuscule sous l'escalier.Il n'y avait ni abri ni cave.. L'une des femmes , terrifiée, couvrait son fils de son corps et criait « Ces étrangers, ces Belges ,ces Français, ces maudits étrangers » , crachant presque le mot Eééétrangers, braillant sa haine envers tous .Sauf que j'étais la seule étrangère présente.
J'aurais voulu mourir puisqu'elle me rendait presque personnellement responsable de la défaite et de la guerre. Nuit après nuit je subissais cet enfer. Je savais que ses insultes arriveraient aussi sûrement que les bombes. Pourquoi n'avais-je pas suffisamment de courage pour quitter ce lieu ? Par couardise . Mais je sentais monter une telle haine envers elle que j'aurais pu la tuer pour lui clouer le bec. Soudain une idée brillante me vint. Je devais me mettre à tricoter.Ce fut mon salut. Je me mis à enfoncer l'aiguille comme si je lui transperçais le coeur.Une maille à l'endroit, une maille à l'envers . Je ne l'entendais plus et je devenais experte en coups d' aiguilles ,sur elle et sur Hitler...
*N.B. Le texte de Geneviève Marchant est en anglais. Je choisis les passages les plus évocateurs et l'esprit du récit plutôt que sa traduction littérale.
Jeudi 1 novembre 2012401/11/Nov/201222:10
ST STEPHEN'S HOUSE Londres le 27 juin 1940
Victoria Embankment
Abbey 1384
Madame,


Les sentiments que m'exprime votre lettre me sont un précieux encouragement. Je vous en remercie très chaleureusement.
J'ai pris bonne note de votre offre de service et ne manquerais pas , le cas échéant,de faire appel à votre concours.
Veuillez agréer, Madame , mes hommages respectueux.
signé
Général de Gaulle
Cette courte lettre, tombée un jour d'une enveloppe ,a rappelé bien des souvenirs à Geneviève Marchant une Française de Chateauroux qui a suivi son mari en Angleterre quand le journal « Continental Daily Mail » où il était journaliste a cessé de paraître en France pour cause de guerre.Hasard de la vie, Geneviève a entendu, à Londres, l'appel du 18 juin et ,sans attendre elle a proposé ses services. Neuf jours plus tard elle recevait la réponse ci-dessus qu'elle considéra comme courtoise... mais négative.
Pourtant sa vie devait changer dans les mois et les années qui ont suivi au point que le 1er septembre 1945, le même général de Gaulle lui remettait un parchemin sur lequel il la remerciait « amicalement,simplement, au nom de la France ! »
Après la guerre,la lettre tombée de l'enveloppe réveilla tellement de souvenirs que Geneviève en a écrit quelques uns dans une brochure. Sa fille Mireille conserve précieusement l'original mais elle a offert un exemplaire à Gérard Tancré notre dévoué président des « Amitiés Internationales ». Je vais en extraire quelques bonnes feuilles comme on dit dans l'édition...
*N.B. Le texte de Geneviève Marchant est en anglais. Je choisis les passages les plus évocateurs et l'esprit du récit plutôt que sa traduction littérale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire